INTERVIEW - LA BOITE À MOUSTAGE – LYON

INTERVIEW – LA BOITE À MOUSTAGE – LYON

La Boite à Moustache continue ses interviews sur Berlin avec la rencontre de Tagträumer, DJ, producteur et gérant du label BlackFoxMusic. Depuis plus de dix ans, Tagträumer voyage à travers le monde pour faire danser le public avec ses vinyles. Ses séjours dans des pays culturellement très différents de son Allemagne natale influencent ses productions aux styles très diversifiés alliant softwares et hardwares.

Tagträumer²

Photographie & Design par Vitoscha Königs

 

Version française

Tu as grandi à Prenzlau, dans le Nord de l’Allemagne, quel était ton environnement musical là bas ? Qu’est-ce que tu écoutais plus jeune et quand as-tu découvert la musique électronique ?
J’ai commencé à écouter de la musique électronique plutôt tard, vers mes 14 ans. Avant cette découverte, je jouais du piano et de la guitare.
A 15 ans, je suis allé pour la première fois dans une discothèque écouter de la dance music. Puis, un an plus tard, j’ai commencé à fréquenter des clubs de Techno et je me suis dit « Qu’est ce que c’est que cette p***** de musique ?! C’est vraiment cool ! ». J’ai vraiment aimé cette étrange et nouvelle musique. J’ai donc commencé à acheter beaucoup de vinyles et de CDs. Selon moi, les platines étaient des instruments comme les autres et je le pense encore. Je voulais apprendre le mixe et ai arrêté de jouer du piano et de la guitare. Un jour, j’ai réussi à accumuler assez d’argent pour m’offrir une paire de Technics. J’avais même vendu mon ordinateur pour en avoir. Je les ai finalement eu le jour de mon 16ème anniversaire. Personne dans ma ville ne savait mixer, alors j’allais apprendre en clubs, pour observer les DJs. Cela m’a permis de développer mon propre style.
A 18 ans, j’ai commencé à organiser avec des amis mes premiers évènements Techno : notre première tête d’affiche était Paul Kalkbrenner, qui n’était pas aussi connu à l’époque.
Lorsque j’ai fini mes études en 2003, j’ai déménagé à Berlin. Je me rendais dans cette ville avant pour acheter des vinyles et voir de nouveaux artistes. J’ai eu tant de découvertes musicales dans cette ville. Je mixais seul, mais ai monté un projet avec mon ami Andreas appelé « TagTräumer² ». Nous avons beaucoup mixé ensemble, notamment dans des universités lors du tour « Campus Rocker ».
En 2007 j’ai eu un travail en tant qu’Event Manager au sein de l’agence de booking BlackFoxMusic. Ils m’ont donné beaucoup d’opportunités et m’ont offert la chance de lancer avec eux le label la même année. C’était vraiment fou pour moi ! A cette même époque durant mon temps libre, je composais des productions et j’ai pu sortir mon premier EP Capisce sur notre label BlackFoxMusic.
Après cette première sortie, mon loisir en tant que producteur est devenu un réel travail. Malheureusement, Andreas ne pouvait pas en faire son travail, donc j’ai du continuer seul les productions sous le nom de TagTräumer².

 

Beaucoup d’artistes ont déménagé à Berlin pour différentes raisons, quelles étaient les tiennes?
Berlin est sans aucun doute la capitale mondiale de la musique et pas seulement pour la Techno. Par exemple, tu peux trouver à Berlin quelques majors comme Universal ou Sony mais également beaucoup de labels indépendants. Tu peux créer des projets musicaux très rapidement et rencontrer des gens très facilement aussi. Il y a vraiment beaucoup de créativité ici, mais il y a également beaucoup de personnes qui parlent seulement sans agir ensuite… Faites attention.

 

Jeudi dernier tu étais au festival LautLeiseBerlin, comment c’était?
Génial. Je connais l’Event Manager de ce festival et il est vraiment doué pour développer une identité visuelle spéciale avec un logo original (un oiseau bleu), des décorations avec beaucoup de fleurs, des éléments comiques avec comme couleur principale le bleu. J’étais vraiment heureux du line up, je jouais de 1 :00 à 3 :00 donc j’ai pu jouer Deep au début puis y aller un peu plus fort après ! Et aussi parce qu’après 3 :00 j’ai pu boire des coups avec mes amis ! (rire)

 

Parlons un peu de vinyles ! Beaucoup d’artistes ont abandonné ce support. Toi, tu n’as pas mal au dos à transporter encore et toujours tes vinyles à chaque soirée ?
C’est assez stupide de dire que c’est trop lourd à transporter. Regarde les groupes de musique par exemple, ils doivent porter tous leurs instruments, alors pourquoi les DJs se plaindraient de devoir porter 20 kilos de vinyles ? D’accord, une bonne raison de mixer sur CD est le fait que tu peux jouer plus de tracks mais à une soirée, tu as uniquement besoin d’environs 70 vinyles de différents styles. C’est assez selon moi pour un DJ set. Sauf si tu es en tour pendant plus de 2 semaines, c’est vrai que tu dois porter au moins deux sacs de vinyles. Mais pour moi, cela ne fait aucun souci.

 

Comment construis-tu ta collection de vinyles? As-tu une idée précise de ce que tu veux acheter ou tu aimes passer du temps dans les disquaires pour découvrir ?
J’ai un site favori pour acheter des vinyles où je peux écouter un tas de différents styles de musique. Je prends à chaque fois une journée pour écouter toutes les nouveautés. J’écoute également des DJ sets en ligne, et si j’entends une track qui me plaît, j’essaye de la trouver en vinyle et l’achète. Parfois je vais dans des disquaires car j’aime parler avec les vendeurs. Si tu leur dis tes goûts musicaux, ils pourront t’orienter sur telle ou telle nouvelle sortie.

J’ai lu que tes influences musicales viennent de tes voyages autour du monde. C’est vrai que chacun de tes EPs sonne différemment et à chaque fois, on peut apercevoir une partie de ton éclectisme musical. Pourrais-tu nous dire comment est-ce que voyager dans différents pays a eu un impact sur tes productions ? Est-ce que tu t’attendais à être autant influencé par ces voyages ?

Ce n’est pas le fait d’être allé en Islande et vu de si beaux paysages par exemple qui m’a influencé dans mes productions. Mais ce sont les gens et la scène locale. Je peux trouver de nouvelles inspirations grâce aux artistes locaux. Mais je produis toujours selon mon ressenti.
Si nous parlons de style, pour ma musique, tu entendras toujours des influences des années 90, dans les lignes de basse par exemple.

 

Tu as déjà voyagé dans le monde entier pour tes DJ sets et lives et tu as probablement vu différentes manières d’écouter de la musique en soirée. Est-ce que tu adaptes ton DJ sets ou tes lives selon le public et sa culture ?
Oui et non (soit « Jein » en allemand). Quand je prends 70 vinyles avec moi en soirée, je fais attention à avoir différents styles. Je ne prépare  rien chez moi avant une soirée car j’aime deviner ce que les gens veulent durant mon set. Et c’est également vraiment bon de pouvoir essayer de nouvelles choses durant un set, mixer ensemble deux vinyles pour la première fois par exemple.
J’ai beaucoup apprécié jouer en France. Je suis allé quatre fois à Paris. J’aime la culture musicale là bas. Nous, producteurs allemands, avons beaucoup de points communs avec les producteurs français rien que pour l’amour du vinyle et la qualité de production. Je ressens une grande connexion avec eux !

 

Grâce à ton label, tu pourrais avoir l’opportunité de sortir toutes tes productions dessus. Mais seulement 3 de tes EPs figurent sur BlackFoxMusic, as-tu juste envie d’explorer d’autres labels ou considères-tu que ta musique ne correspond pas tout à fait à la ligne artistique de BlackFoxMusic ?
Je pense que pour mes productions, 3 EPs et une compilation sur BFM suffisent. Le but de notre label est d’avoir de nombreux artistes et par an, BFM sort au maximum 4 EPs. Je signe avec d’autres labels car cela me donne l’opportunité d’atteindre une autre fanbase et donc d’avoir une plus grande audience. A chaque fois que je compose, je suis à la recherche de nouveaux labels et leur envoie ensuite mes démos.

 

Tu as aussi fait quelques collaborations. Une en particulier a attiré mon attention : ton EP Do That Shit avec Elbee Bad, comment l’as-tu rencontré ? Et comment avez-vous réalisé cette track ?
L’ancien gérant de BlackFoxMusic avait quitté son poste en 2010 et m’a offert l’opportunité de mener le label seul. Il était également un bon ami d’Elbee Bad. Elbee Bad jouait souvent aux soirées de BFM et j’ai pu aussi le booker dans ma ville natale. J’adore ses performances. J’ai produit cette track House Do That Shit sans vocal et j’ai senti qu’il manquait quelque chose, une vocal hip hop : j’ai pensé que la voix d’Elbee Bad serait parfaite. Je voulais vraiment donner cet aspect Hip Hop à une track House. Je l’ai ensuite envoyé au label Society 3.0 qui 30 minutes plus tard, m’a répondu me disant être très intéressé. Le remix était vraiment bien aussi, réalisé par Dirt Crew et c’est vrai que cet EP a très bien marché.

As-tu été inspiré par d’autres modèles de labels quand tu as créé BlackFoxMusic ?
Pour nous, ce label a été créé pour être une base pour nos artistes. Avant ce label, BFM était uniquement une agence de booking avec quelques organisations d’évènements. Nous voulions donc promouvoir BFM à travers ce label mais également notre passion pour les vinyles et les nouveaux artistes.
Dans le passé, nous étions vraiment admiratifs des modèles de Gigolo Records et BPitch Control, mais la création de BFM provient de notre propre style et convictions, donc je ne pourrais pas dire que nous avons été influencés par d’autres modèles.

 

Une des activités du label m’a rendu curieuse: peux-tu nous en dire plus sur les évènements audiovisuels de BlackFoxMusic ?
Une fois par an, nous réalisons un showcase appelé « Dienstag Welt » où nous faisons venir des VJs. Le prochain aura lieu le 27 décembre au Gretchen (Berlin).

L’évènementiel semble être la principale source de revenus des labels aujourd’hui. Penses-tu qu’à l’avenir les activités des labels seront majoritairement tournées vers l’organisation d’évènements ?
Le problème est qu’avec uniquement de la musique, tu ne peux pas gagner d’argent.
L’évènementiel est un énorme investissement en temps et en personne. Pour nous, cela a plus de sens d’organiser seulement deux évènements par an et se concentrer sur les tournées des artistes.

 

Quelles sont les principales difficultés dans la gestion d’un label?
Trouver les moyens de distribution adaptés car tout change si vite. Être capable de distribuer nos vinyles partout dans le monde est notre principale difficulté. Ici à Berlin, on se concentre d’avantage sur les vinyles : un mois avant la sortie en digital, nous allons chez les disquaires pour leur donner en premier les vinyles. Pour moi un label n’a pas seulement une présence online, les gens et les supports physiques sont plus importants.

 

Que penses-tu des artistes de musique électronique venant de labels indépendants allant ensuite signer avec des majors ?
Pour un artiste, cela pourrait être bon…dans certains cas. Signer avec une major ne signifie pas que tu auras plus de dates et que tu vendras plus de vinyles. Je pense que beaucoup d’artistes ne conviennent pas aux majors car ils ne veulent pas que l’on dirige leur vision artistique. D’un autre côté, si un artiste correspond à une major, il/elle aura une plus grande audience et sa musique sera plus largement distribuée. Mais si tu veux garder ta créativité en tant qu’artiste, c’est sans aucun doute mieux pour toi de sortir ta musique sur un label indépendant.

 

Quels sont tes prochains projets?
Un prochain vinyle va sortir sur BlackFoxMusic : Wave Control EP produit par un artiste français, de Marseille, Millimetric et remixé par David Carreta.
J’ai également commencé ce mois-ci un projet personnel, ma propre émission de radio appelée  Eyjafjallajökull. Beaucoup de personnes m’ont demandé ce que les gens pouvaient écouter en Chine, en Mongolie etc. Donc j’aimerais leur faire découvrir d’autres musiques venant de partout dans le monde et même si elles peuvent être bizarre ! Pour ma première émission diffusée sur deux stations de radio en ligne (Garage FM en Russie et Sky Walker en Allemagne), j’ai invité un DJ islandais Steindor Jonsson. La première émission sera donc consacrée à l’Islande, la seconde à la Russie et la troisième à la Turquie. Ce ne sera pas uniquement de la musique électronique, les DJs pourront également passer des musiques qu’ils pouvaient écouter pendant leur enfance. J’aimerais pouvoir explorer 25 pays en 2 ans.

 

Une dernière question sur Berlin, qu’est-ce que tu aimes faire le dimanche dans cette ville?
J’aime aller aux marchés aux puces : à Mauerpark mais aussi dans les plus petits marchés. J’adore celui dans Friedrichschain au RAW. Là-bas tu peux trouver des vinyles vraiment cools. Le dimanche est aussi pour moi le jour où je peux voir mes amis pour un café et me reposer un peu.

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